mercredi 13 février 2019

Savage Reign

Savage Reign (SNK)
Test qui se voulait rapide de Savage Reign sur Neo Geo (SNK)
Sortie originale: Neo Geo (1995)
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Ca a la couleur de l'étrange - et c'est de l'étrange.

Savage Reign, voilà bien un jeu curieux. Franchement, j’aimerais bien savoir ce qu’était le cahier des charges de l’équipe qui l’a développé. Est-ce qu'il s'agissait d'innover? Ou au contraire de rappeler certaines références familières des amateurs de baston? Est-ce que c'était une tentative expérimentale? L’ouverture éventuelle d’une nouvelle série SNK? Un essai de 3D en 2D? Un caprice, une carte blanche laissée à son chef de projet? Peut-être que son développement a une histoire rocambolesque; peut-être qu'elle est au contraire d'une platitude navrante. 
J'en sais rien du tout, mais je trouve qu'il y a de quoi se gratter la tête.

Par le pouvoir du boomerang ancestrâââl!

Parce que si le jeu a généralement obtenu de très bonnes critiques au moment de sa sortie, en 1995, les avis rétros sont plus partagés... Et je pense, quoi qu'il en soit, qu’on peut dire aujourd’hui que la petite histoire du jeu de baston n’a absolument pas validé les directions improbables qui ont été prises avec Savage Reign.
Celui-ci tente en effet d’associer un usage étendu du changement de plan (une vieille lune chez SNK, ils bidouillaient avec depuis le premier Fatal Fury) à l’introduction d’armes de jet (sorte de prolongation des combats à l’arme blanche des Samourai Shodown). Ca donne des affrontements dont il faut reconnaître qu’ils sont assez particuliers.


Dans le futur, un nouvel art martial est né. Avec un boomerang.

Pour concilier ces deux plans, les frappes à mains nues ou armées, et le lancer de projectiles, le système de combat a pas mal recours aux pressions de boutons simultanées.
A et B donnent des coups rapides à mains nues (poings / pieds).
A+B change de plan.
C donne un coup puissant avec l’arme.
B+C (ou A+B+C) lance l’arme.
Les habituelles manips de stick pour sortir les spéciaux viennent s’y superposer, et s’appliquent à ces quatre catégories de coups: il y aura donc des spéciaux avec l’arme, sans l’arme, en la projetant, ou en changeant de plan! 

Les décors recèlent parfois des dangers (comme dans les deathmatches de World Heroes) ou des trucs à balancer.

Dit comme ça, ça paraît compliqué… et ça peut en effet l’être un petit peu – d’autant que les manips ne sont pas des plus faciles, avec un recours régulier au mouvement de dragon punch ou à des tours de sticks relativement inhabituels.


Stallone et Lundgren de retour sur le ring.


Ca aboutit à des combats qui, pour l’essentiel, sont effectivement pas mal axés sur les échanges à distance; cela d’autant plus que les corps à corps sont bridés par une absence notable et délibérée de combo-abilité des attaques. L’action fait du coup la part encore plus belle aux échanges de spéciaux, comme nous y avaient habitués les tous premiers versus, notamment Fatal Fury.


Pour servir le combat à distance, le zoom arrière peut aller très loin. Et révèle des décors réussis et richement animés.

Savage Reign évoque d’autant plus le premier jeu de baston SNK que les coups spéciaux y étalent le même genre de tape-à-l’oeil, et que ses personnages hauts en couleurs y font plus ou moins explicitement référence. Le petit vieux, Chung, en est un concentré : il jette sa casquette en l’air en criant « okay ! » comme Terry, entre en ikari-mode comme Tung Fu Rue, et balance des Tiger Kicks plus impressionnants que ceux de Joe Higashi.


Chung, le ZZ-Top-tue-géniale-Fu-Rue, a un tigre blanc rugissant dans les coups de savate. Le meilleur spécial du monde.


Les ninjas Gozu et Mezu, eux, sont de nouvelles incarnations de l’archétype du bossu griffu à moitié cinglé, et font autant penser à Gen An de Samurai Spirits qu’à de mauvaises rencontres qu’on a pu faire dans Bad Dudes ou Ninja Warriors, ou à des versions dégénérées de Scorpion et Sub Zero.


Ninjas palette-swap? Check.

Il faut dire, l’action de Savage Reign est supposée se passer dans un futur semi-apocalyptique qui ouvre grand la porte à ce genre de transpositions décalées. La moins rigolote n’étant probablement pas celle du héros, Hayate : un genre de Ryu avec la tronche à Stallone (et donc aussi un peu de Ken le Survivant), et des accessoires (armure et boomerangs) qu’on pourrait croire hérités de Mad Max.



La Southtown du futur, et son casting apocalyptique.


En termes de réalisation, c’est cohérent avec le reste: du gros bonhomme stéroïdé, des armes énormes, des pains à 2 frames d’animation, des couleurs qui pètent, une difficulté vacharde, du zoom dans tous les coins, des bruitages et des voix de cartoons, le tout baignant dans des ziques mélangeant synthé, sonorités traditionnelles et grosses guitares. Dans ce genre, c'est très réussi et en plein dans l’esthétique « megashock » caractéristique des productions Neo Geo des années 91-94. Il n'y a pas de hasard: le jeu a été produit par Takashi Nishiyama (Street Fighter, Fatal Fury, Art of Fighting)…


Avec un bon timing, on frappe les projectiles pour les renvoyer. Avec un mauvais timing, on frappe... Mais c'est un mauvais timing.

Sauf que Savage Reign, il est sorti en 95... Et qu’à ce moment-là, la 3D envahissait les salles comme les consoles de salon, et que la 2D apprenait à se battre avec d’autres armes en termes de gameplay, d’esthétique, et de technique. Alors, mis dans ce contexte-là, le jeu donne l’impression de ramer complètement à contre-courant de la tendance…


Ni jauge, ni combo counter, ni super. Tout juste un Desperation move, limite anecdotique vu la tronche des spéciaux.


Voilà pourquoi il me fait vraiment l’effet d’une drôle de bête, perdue entre deux époques et des concepts plus ou moins contradictoires. Non seulement son aspect humoristique et son casting débile ne plairont pas à tout le monde, mais ils cachent un jeu qui n’est en réalité ni franchement facile, ni spécialement accessible... Ni pour autant particulièrement riche! C'est pour ces raisons qu'il est aujourd’hui assez largement considéré comme un nanar - mais c’est justement aussi ce qui fait son unicité dans la ludothèque de baston de la Neo Geo: il est resté une aventure sans héritage, et ce, bien qu'il ait connu une "suite", Kizuna Encounter. Les changements opérés pour ce dernier (qu'on pourrait qualifier de RealBoutisation) sont probablement à la mesure du four qu'a dû être Savage Reign.


Carol, la française qui fait de la GRS dans ta gueule et n'a rien à voir avec Charlotte, disparaîtra de Kizuna.

Si on fait le bilan, du coup, il n’y pas de doute possible: Savage Reign a salement tapé à côté de la plaque. Il n’empêche que... Malgré ses défauts et l’étrangeté de son assemblage, je trouve qu’il a quand même pour lui une certaine cohérence dans sa bizarrerie, une réalisation qui claque typique d'une époque (limite antérieure à celle de sa sortie), et surtout une vraie singularité - tout en étant évocateur, pour l'amateur de SNK que je suis, des séries qui l’ont précédé: Fatal Fury, Art of Fighting, Samurai Spirits.

J'ai envie de te dire la même chose, Savage Reign: malgré ta tronche de fossile, j'aime ton foutre.

Je ne peux pas dire que ce soit un très bon jeu, mais c’en est un qui a une identité assez forte et du charme à revendre, qui en met plein les mirettes et sent bon l'arcade comme j'aime bien. Au final, à choisir, je suis de la minorité qui préfère sa connerie sans compromis à celle de Kizuna Encounter.




3 commentaires:

  1. Un super test encore une fois mais qui ne me donnera pas l'envie de me replonger dans ce jeu de l'angoisse absolue. As-tu pu le tester à 2 joueurs humains ? C'est peut-être ainsi qu'il prend son intérêt (ou pas).

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  2. Merci Manu 8). Oui, j'y ai joué à 2 - mais ni beaucoup, ni de manière approfondie. Pas beaucoup de monde non plus pour y jouer sur Fightcade... Du coup, j'ai regardé un peu des videos de matches pour voir si des fois je manquerais pas quelque chose. Mais de toute évidence non; si le jeu te branche pas solo, il n'y aura pas de révélation en 2 joueurs.

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  3. Excellent test, bien écrit, et sans faute d'orthographe ça fait tellement plaisir. Encore merci pour ce partage. Tsubasa2k3.

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