mardi 23 juin 2020

The King of Fighters: de '99 à '03, la période NESTS (& Ash)

King of Fighters '98 avait tout d'un feu d'artifice final. C’est simple, il était tellement abouti qu’à l’époque on n’envisageait pas trop comment mieux faire… Surtout que le système avait déjà fait plus que son temps, et que l’éditeur semblait au bord du précipice. 




Parce que bon, quitte à rappeler des évidences, en 1999, sortir des jeux de baston en 2D en 320x224, ça commençait à devenir chaud. Sur certains marchés, c’était même l’impasse. A la maison, on jouait sur 128bit (et à la Neo Geo sur son PC). En salle d’arcade, ce n’était gère plus simple; déjà parce que le secteur marquait un fort déclin dans pas mal de pays, mais aussi parce que le MVS était désormais complètement à la ramasse technologiquement parlant. On parle beaucoup de la concurrence de la 3D, mais sur la 2D aussi, le hardware SNK était largué face aux CPS III, Naomi et même PGM. Pire que cela, le MVS avait épuisé toute capacité d’évolution, puisque la capacité des cartouches avait atteint son plafond (jusqu’à 2004, elle n’ira pas beaucoup plus haut que les 683mb de KoF ’98).

L'évolution de la taille des roms n'impactera pas tant la série que le changement d'éditeur.

The King of Fighters '99 et 2000: les derniers SNK

Alors, pour tenter de continuer à faire progresser la série graphiquement parlant, le choix des développeurs de King of Fighters ’99 (et dans une certaine mesure de 2000) a été de privilégier la qualité à la quantité. En se concentrant sur un nombre de personnages moindre et quelques décors seulement, ils ont déployé des trésors de savoir-faire pour obtenir un visuel aussi impressionnant que des procédés 2D classiques le permettaient sur le hardware obsolète de la Neo Geo. C’est en tout cas le trait le plus saillant de cet épisode, souvent cité pour la beauté de ses décors ou le rendu très efficace des dessins de Shinkiro… On peut aussi vanter le travail accompli sur les personnages, dont beaucoup ont reçu un nouveau coup de frais : recolorés, partiellement voire complètement redessinés, bénéficiant d’une animation encore améliorée, ils sont plus beaux que jamais. Et rejoints par de nouveaux venus, eux aussi magnifiquement travaillés.

K' star de '99? Bof: il y a quand même 3 versions de Kyo à l'écran de sélection!

C’est justement sur ce point que se situe un tournant majeur de la série (évoqué en conclusion de la page précédente), qui s’appuyait depuis ses débuts sur un concept de baston « all-stars ». Les deux séries-mères qui alimentaient KoF ne remuaient plus un orteil: Art of Fighting s’est éteint avec le 3e épisode en 1996 ; quant aux Real Bout, ils n’en finissaient plus de rappeler les personnages des anciens de Fatal Fury à la rescousse...  Les développeurs ont donc fait le choix d’introduire de nouvelles têtes: pas moins de 15 au total entre KoF ’99, 2000 et 2001. Pour un seul transfert de Real Bout 2 (Li Xiangfei), et surtout zéro de Garou: Mark of the Wolves (il faudra attendre 2003 pour cela). Pourquoi ce changement de direction?


Comment pouvait-on encore faire des KoF quand il n'y avait plus de stars à inviter?

Je suppose que ça devait en partie être pour répondre à des critères de mode et de marchés visés. La Corée,  la Chine et l’Amérique du sud demeuraient les bastions les plus solides du MVS en raison de son faible coût en comparaison avec les systèmes plus récents; d’autre part, les années Arnold étaient finies, et elles avaient déjà bien servi le casting. Place a donc été faite aux femmes, aux enfants, aux ambigus, et aux silhouettes filiformes populaires en Asie. A commencer par celle de K’, sorte de star maudite de la J-Pop, propulsé en tête d’affiche à la place de Kyo, dont la Hero/Japan/Esaka Team a été assez symptomatiquement démantelée! Des concepts d’un goût généralement considéré comme discutable en occident, et dont j’aurais du mal à dire si le point culminant est la NESTS Team de KoF 2001 ou la Ash Team de KoF 2003...

Je vous le fais à "inégaux et polarisants", qu'est-ce que vous en dites?

On peut aussi supposer qu’avec un système de jeu qui restait foncièrement pas très différent depuis plusieurs années, ces nouveaux personnages seraient le véhicule d'expériences de jeu différentes: Vanessa la boxeuse agile, Ramon le Bruce Lee de la Lucha Libre, ou Hinako l’écolière sumotori constituaient autant d’offres plus ou moins extravagantes pour qui était rompu au maniement du shotoclone.

Whip, un personnage qui est resté, et qu'on a pris l'habitude d'insulter.

Toujours dans cette optique de rafraîchir un peu le gameplay, il y a un autre changement que '99 a initié: le Striker, un 4e personnage sélectionné pour intervenir de façon limitée et ponctuelle pendant le combat. Une petite mécanique de jeu (une fois de plus piquée à Capcom) que SNK a greffé au gameplay pour le renouveler un peu, sans pour autant trop s’éloigner de ce qui faisait l’identité de la série. Elle a été déclinée de façon différente sur les épisodes 99, 2000 et 2001, et a permis de créer un peu de variété à bon compte, notamment parce qu’elle impactait la composition des équipes. Mais une fois le tour de la question fait (et la mode passée), cette variable fut abandonnée -définitivement- avec King of Fighters 2002. 


Les Counter et Armor modes de '99 et 2000 ne seront pas reconduits au-delà. Pas "mauvais", juste "sans plus".

On a coutume de présenter King of Fighters 2000 comme le dernier épisode signé du SNK «historique». Le fait est que la qualité de la réalisation est toujours au rendez-vous (même si elle est à mon avis un tout petit cran en dessous de celle de '99), et que le jeu délivre du fan service à n’en plus finir par l’intermédiaire des Strikers alternatifs de chaque personnage.

Des incursions des personnages qui ont un bon goût de nawak.

Je ne sais pas s’il faut le relier au départ de Takashi Nishiyama (qui encadrait KoF depuis sa création) ou à un énième sentiment que cette fois-ci, c'était vraiment la fin, mais je trouve que cet épisode se démarque un peu plus encore des précédents : bande son essentiellement électro, références qui partent un peu dans tous les sens (de Robo Army à Samurai Spirits), décors photoréalistes parfois à la limite de l'austérité, strikers débridés, et pas moins de six personnages totalement inédits… KoF 2000 a quelque chose d’à la fois luxueux, généreux, et décadent - pour tout dire, un petit goût de fête du slip.


Ce qui, après tout, n’est pas inadapté pour un épisode de fin de siècle/millénaire/éditeur/monde. Oui, il y a définitivement quelque chose de "2000" dans ce KoF là, et c'est ce qui fait son charme à mes yeux.
Si on se replonge un peu dans l’époque, les titres suivants sonnaient, eux, carrément comme des projets de science-fiction…

The King of Fighters '01 et '02: la parenthèse Playmore/Eolith

En plein chaos du démantèlement de SNK, King of Fighters 2001 a été développé à l’économie par une petite équipe assemblée autour d’une poignée d’anciens de la boîte, alors que son ancien patron était encore en train d’en rapiécer les licences au sein de son nouveau label, Playmore.  Faute de pouvoir s’appuyer sur les talents et les moyens de feu SNK, KoF 2001 mise largement sur ses sprites hérités des épisodes précédents, son roster record de 40 personnages et quelques nouveaux remaniements de gameplay pour tenir sa place et assurer la continuité de la franchise.

Le retour de Heidern sur le tristement célèbre circuit de Sao Polo.

Produite par le Coréen Eolith pour les derniers marchés actifs de l'arcade, la version Neo Geo est connue pour ses décors conçus en 3D (tels qu'on les retrouve sur PS2), puis mis à plat - façon Computer-Generated Imagery.

KoF 2001, sous-titré "Invocation de perso de manga et traits de stabylo sur dégradés de gris"


Sauf qu'aucun effet de profondeur n'en est tiré, et que résolution comme palette de couleurs suivent comme elle peuvent, c'est à dire pas toujours très proprement. Du coup, après 3 épisodes qui avaient atteint des sommets en termes de réalisation, la descente file un peu la gerbe: le rendu de ces décors est souvent peu flatteur voire assez miteux, et les artworks, au trait déjà moche au départ, ne sont guère valorisés par leur passage au pixel.

Zero (bis) un boss dont la pète-couillerie n'est surpassée... que par le suivant, Igniz!


Le jeu est en plus agrémenté d'une bande-son techno dont on peut au moins dire qu’elle tranche plus profondément encore que la précédente avec la tradition de la série… Bref, ce KoF 2001 est ce qu’on pourrait appeler un épisode de survie. Et le suivant est du même tonneau.

Car après avoir rallongé la sauce NESTS tant qu’ils pouvaient, c’est avec des moyens qu’on devine toujours limités que le tandem Playmore/Eolith a rejoué la carte du Dream Match (ie, un best of du best of, comme KoF '98) sur King of Fighters 2002. Cet épisode capitalise là encore sur un casting opulent de 40 personnages, mais oppose cette fois la crème des nouveaux personnage de la période NESTS à des équipes qui n’avaient pas passé le cap de 1998 – dont en premier lieu la Team Orochi et la Special Team, très populaires en Asie.

Un affrontement enfin possible. En gris sur gris...

Le jeu ne produit donc toujours aucun nouveau sprite (le boss lui-même étant le retour de la vengeance de Rugal), mais il améliore un peu l’habillage que proposait l’épisode précédent. Les décors, réalisés comme ceux du 2001, n'ont toujours pas un rendu follichon, mais ils multiplient (limite de façon abusive!) les petites références aux personnages des séries SNK. Dans le même ordre d’idée, les musiques récupèrent des sonorités plus familières, et incluent même, de façon assez inespérée, de nombreux classiques... Mais malheureusement, ils ont été réarrangés avec des échantillons peu nombreux, et d’une qualité parfois plus que limite.




En somme, les intentions sont bien présentes mais bridées par l’aspect technique, qui reste décevant: là encore, KoF'02 sur Neo Geo ressemble assez tristement à une version PS2 du pauvre, ce qui, dans l'idée, a quand même quelque chose d'enrageant pour tous les fans du support! Eolith le destinant là encore aux arcades compétitives d’Asie et d’Amérique du Sud, le jeu est également connu pour avoir ouvert des possibilités de combos plus complexes qu’aucun autre auparavant par le biais de sa nouvelle déclinaison du Max mode.



Après cet épisode, il était temps qu'une nouvelle page se tourne pour la série; non seulement le cycle NESTS était on ne peut plus achevé, mais en renaissant de ses cendres sous l’étiquette SNK-Playmore, l'éditeur d'Osaka se devait de faire son come-back avec des moyens et des ambitions renouvelés à l'occasion de la prochaine itération de sa série phare. 

The King of Fighters 2003: autant SNK que Playmore?

Dans la foulée du tant rêvé SVC Chaos, King of Fighters 2003 a bel et bien initié cette relance: c'est la plus grosse rupture depuis '99. Nouveau moteur de jeu, nouvel environnement graphique, nouvelle gestion de l'équipe et du match, nouveaux personnages bien sûr... C'est également un retour aux sources, avec une réinvocation d'Orochi, une moitié de personnages issus du casting fondateur, un seul rescapé de l'ère 2000-2001, et (j'ai envie de dire "surtout") la résurgence du principe du guest-starring, puisque Gato et Tizoc de Garou: Mark of the Wolves intègrent le cast.

Le casting et le scénario de la nouvelle saga... Désaveu des années 2000?

On peut faire le même constat côté réalisation, avec des graphismes rafraîchis, globalement très réussis (des décors low-res ayant cette fois été dessinés spécifiquement) et des musiques qui retrouvent des sonorités qu’on n’avait plus entendues depuis le siècle d’avant, aux mains de talents historiques de SNK (Papaya, Yamapi, et Tate Norio). On peut reprocher certains défauts à cet épisode, mais pas de faire "cheap"!

Tizoc, un bel ajout de MotW... Et Ash, le nouveau perso central de la saga, du genre qu'on aime détester.

En tant que dernier opus sur Neo Geo, KoF 2003 a probablement été une conclusion assez imparfaite; au-delà de quelques défauts techniques, le jeu rompt tout simplement avec trop de conventions de la série... En revanche, en tant que début pour SNK/Playmore et d'une nouvelle ère pour la série, il avait au moins le grand mérite d'afficher une volonté et des moyens encourageants.



Alors, si on fait le bilan de cette deuxième moitié de décennie de King of Fighters sur Neo Geo, je crois qu'on peut dire que ses évolutions ont été au moins autant dictées par les aléas du sort de son éditeur que par des choix de développement. Si de '94 à '98, on avait le sentiment que chaque nouvel épisode était, d'une façon ou d'une autre, une avancée, le parcours de '99 à 2003 a été beaucoup plus chaotique, chacun des épisodes apportant moins des progrès que des différences, très diversement appréciées par les fans de la première heure, aujourd'hui encore.

C'est de ce regard actuel sur l'intégralité de la série que je voudrais parler dans le prochain billet. Et tenter de répondre à cette épineuse question: avec un accès plus ou moins égal aux dix épisodes, lesquels vaut-il mieux privilégier?

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